Le député girondin Gilles Savary estime que l'endettement du système ferroviaire rend caduc le projet de ligne à grande vitesse vers Toulouse et l'Espagne au-delà de Bordeaux. Il recommande la rénovation des lignes existantes.

et il ajoute : '' n'oublions pas l'option POLT : Paris-Orléans-Limoges-Toulouse. Une hypothèse prévoyait la mise en place d'un train pendulaire qui roulait à 280 km/h, à condition d'investir un milliard d'euros dans la rénovation de la voie. L'abandon de la LGV Poitiers-Limoges remet en selle ce projet. Dans tous les cas, il est indiscutable que Toulouse a besoin d'un train moderne et rapide.''

Il a toujours été question que la ligne à grande vitesse se poursuive au-delà de Bordeaux, vers Toulouse et l'Espagne. Vous remettez désormais ce choix en cause. Pourquoi ? Je m'interroge sur le choix d'une LGV à la française, coûteuse et prestigieuse, qui roule à 340 km/h. Mais je reste fidèle aux objectifs. Je ne fais pas partie des décroissants : il faut faire de la richesse pour avoir un niveau de vie de qualité. Je ne conteste pas le fait que les infrastructures soient très structurantes, je pense même que c'est l'un des très grands atouts de la France. Mais il ne faut pas bâtir des châteaux en Espagne, au risque d'être dupés.
Pourquoi votre réflexion a-t-elle évolué au sujet du GPSO (Grand projet du Sud-Ouest) ?
J'observe qu'il y a deux faits nouveaux très importants à prendre en compte sur le projet GPSO. Le premier est validé par une autorité indépendante qui s'appelle la Cour des comptes, qui explique que le modèle économique de la LGV à la française tend à se précariser voire à s'effondrer. Cela tient à la conjonction de trois facteurs. Tout d'abord, il n'y a plus la manne céleste des subventions pour équilibrer les déficits. Deuxième facteur : le coût kilométrique d'une LGV est en croissance. Nous sommes à 26 M€ du kilomètre actuellement, contre 10 M? il y a 7 ou 8 ans, du fait des contraintes environnementales, - légitimes d'ailleurs -, et de la sophistication des infrastructures LGV. J'ajoute qu'il faut sécuriser les lignes, du fait des intrusions et des vols. Troisième facteur : le changement des comportements de mobilité. Dans l'arbitrage de leurs budgets, nos concitoyens privilégient des comportements low-cost. Ce développement fulgurant, qui n'était pas perceptible il y a 5 ans, ne concerne pas uniquement le low-cost aérien, mais aussi le covoiturage. Cette nouveauté n'a rien d'anecdotique et permet des baisses de coût considérables pour l'usager, auxquelles ne résiste pas le train, a fortiori le TGV français qui est un train de luxe.
Au-delà de l'aspect économique, quel est le second fait nouveau qui a fait évoluer votre réflexion ?
Il s'agit du délabrement du réseau historique, dont on a pris conscience avec les accidents de Bretigny-sur-Orge et Denguin. 3.000 km sont aujourd'hui ralentis pour des raisons de sécurité et le réseau francilien est devenu dans certains endroits tiers-mondisé. Comme l'a exprimé Alain Vidalies, ministre des Transports, la priorité doit être donnée à la régénération des lignes en Ile-de-France.
Laurent Cavrois, président de Liséa, concessionnaire de la LGV Tours-Bordeaux, estime que cette dernière arrivera à couvrir ses coûts. Quel est donc le problème financier ?
Le patron de Liséa a raison, car ses recettes sont contractuellement assurées. SNCF considère d'ailleurs que les péages seront trop élevés, mais ne peut les négocier car il existe un contrat entre l'État et Vinci. Ils essaient de s'ajuster sur les dessertes car ils n'ont plus que cette variable d'ajustement et ils estiment qu'ils vont partir avec 150 M€ à 200M€ de pertes d'exploitation par an dans les premières années. Alors même qu'il s'agit d'un segment particulièrement pertinent.
Alain Rousset, président du conseil régional d'Aquitaine, déclare que Bordeaux-Toulouse sera le projet le plus rentable des TGV. Se trompe-t-il ?
Il est clair qu'il faut désenclaver Toulouse. Deux solutions existent : par Bordeaux et par Limoges. Le passage par Bordeaux peut se faire avec une ligne nouvelle ou avec une rénovation majeure de la ligne actuelle. Étant entendu qu'il n'y a pas de ligne de fret entre Bordeaux et Toulouse, et que l'idée de libérer la ligne actuelle pour y faire passer du fret est un faux argument. C'est pourtant le projet actuel. Vers l'Espagne, il est également envisagé de faire une ligne nouvelle à la française, c'est-à-dire plus chère que toutes les autres en Europe. Mais quel est le sens d'une ligne jusqu'à Dax ?
Ce n'est pas Bordeaux-Dax, qui a du sens, mais Bordeaux-Bilbao ou Bordeaux-Madrid.
Oui, mais pour le moment c'est Bordeaux-Dax qui est programmé. La question est donc de savoir s'il ne vaut mieux pas travailler sur le réseau existant, comme le font les Allemands depuis 10 ans. Si on veut améliorer l'offre ferroviaire vers l'Espagne et Toulouse, on est peut-être dans une impasse en voulant absolument faire du prestige. Je suis de plus en plus convaincu que nous sommes dans cette impasse, car le système ferroviaire français souffre qu'Alstom n'ait pas vendu son TGV à l'étranger. Le tout TGV a été d'autant plus accepté par les deux ministres de l'époque, Dominique Bussereau et Jean-Louis Borloo, qu'ils avaient des usines Alstom dans leur circonscription. Or, un outil comme le TGV français ne peut pas être supporté par le seul marché intérieur français, sauf à ruiner le système ferroviaire. C'est justement ce qui est en train de se passer. RFF et SNCF cumulent 44 Mds € de dette, essentiellement alimentés par des investissements démesurés. Et la dette va être portée à 65 Mds € en 2020 par le seul fait de réaliser les quatre LGV en cours : Tours-Bordeaux, Baudrecourt-Strasbourg, contournement de Nîmes et Montpellier et Pays-de-Loire Bretagne. Quand on commencera à se poser la question de savoir ce que l'on fait de ces quatre lignes, le système ferroviaire français sera plombé de 65 milliards d'euros et acquittera chaque année 2 milliards à ses prêteurs. Et il y aura dans le même temps à assumer une partie de Lyon-Turin.
Que proposez-vous ?
Je propose une stratégie à l'allemande, où les trains roulent à 249 km/h, parce qu'à 250 km/h on passe à la norme grande vitesse européenne qui exige du matériel de voie, de caténaire et de train très coûteux. Les Allemands ont adapté leur modèle économique aux nouveaux concurrents évoqués précédemment. Et je ne vous ai pas parlé des autocars, qui proposeront des prix beaucoup plus bas. Je vous rappelle que la grande vitesse espagnole qui va arriver à Biriatou est de 220 km/h, et qu'une augmentation de vitesse a des impacts exponentiels sur les coûts d'investissement et d'exploitation. Nous sommes dans un secteur extrêmement concurrentiel, et seuls les cheminots pensent qu'ils sont en situation de monopole. Ma conclusion : ne soyons pas les victimes de notre intransigeance. Si c'est le TGV ou rien, aujourd'hui la probabilité que l'on n'ait rien, est plus importante.
Vous êtes donc partisan d'une simple rénovation des voies ?
Je vais vous faire une confidence : alors que le GPSO est évalué à 9 milliards d'euros, RFF a préparé un contre-projet à 2 milliards d'euros qu'il est interdit d'évoquer. Ce projet, de très haut standard, prévoit une rénovation de la voie classique vers Toulouse et l'Espagne. Mais il y a une interdiction politique de sortir ce projet : trop de grands élus s'y opposeraient.
Vous semblez effectivement bien seul à défendre un projet alternatif.
Pour la première fois le Conseil d'État vient de donner un avis négatif, en terme de soutenabilité économique, sur un projet LGV. Et pas le moindre : Poitiers-Limoges, projet auquel tenait le Président de la République comme à la prunelle de ses yeux. Il existe un autre risque majeur, de nature environnementale. Le triangle ferroviaire de Bernos-Beaulac est posé sur l'un des sites écologiques les plus précieux de tout le grand Sud-Ouest. Il y a là une quarantaine d'espaces naturels sensibles, une zone Natura 2000 et deux zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique. J'ajoute que le tracé doit longer deux rivières : le Bartos et le Ciron, cette dernière étant l'usine climatique du Sauternes.
Faut-il craindre comme à Notre-Dame-des-Landes et Sivens des affrontements violents ?
Un front du refus très puissant est en train de se développer, qui va bien au-delà du spectre sociologique et politique de Sivens. Lors d'une réunion récente, on a entendu des écologistes expliquer qu'ils allaient monter une ZAD (zone à défendre, ndlr). Mais tous les maires du Sud Gironde, les sylviculteurs et les viticulteurs expriment aussi leur refus. Cela commence à ne plus être anecdotique. Il est à craindre très sérieusement un syndrome de Sivens. J'ai noté une radicalisation face à un État accusé de vouloir passer en force.
Une option "moyenne vitesse" mettrait Toulouse à plus de 3h30 de Paris. Pourrait-on alors parler de désenclavement ?
De toute façon, même avec un TGV à 330 km/h, Toulouse resterait à 3h10 de Paris. Et uniquement sur les trains directs. Mais n'oublions pas l'option POLT : Paris-Orléans-Limoges-Toulouse. Une hypothèse prévoyait la mise en place d'un train pendulaire qui roulait à 280 km/h, à condition d'investir un milliard d'euros dans la rénovation de la voie. L'abandon de la LGV Poitiers-Limoges remet en selle ce projet. Dans tous les cas, il est indiscutable que Toulouse a besoin d'un train moderne et rapide.
La LGV Bordeaux-Toulouse a été financée par des collectivités comme Midi-Pyrénées qui attendent désormais le tronçon suivant. Le château de carte financier, déjà fragile, va s'effondrer si certains financeurs retirent leur subvention. RFF évoque 400 millions d'euros.
C'est l'une des très grandes perversités du montage élaboré par Dominique Bussereau. Il faudra donc revoir une partie du financement de Tours-Bordeaux. Mais il y a une telle différence entre le GPSO à 9 milliards et le contre-projet à 2 milliards, que les 400 millions qui manqueront vaudront le coup d'être mis sur la table