La CRI et le collectif anti-LGV Poitiers-Limoges avaient raison, conformément aux dispositions de l'article L121-12 du code de l'Environnement, le délai maximum de 5 ans entre  les conclusions du débat public et l'enquête publique  étant écoulé, RFF se trouvait dans l'obligation de ressaisir la commission nationale du débat public, ce que RFF vient de faire ce 27 juillet 2012.

Site de la CNDP : LGV POITIERS-LIMOGES

Le projet consiste en la création d'une liaison ferroviaire nouvelle de près de 115 km entre Poitiers et Limoges. Il a pour objectif d'optimiser la liaison Paris-Limoges : le temps de trajet serait réduit à 2 heures de Paris à Limoges (contre 3 heures aujourd'hui) et à 3 heures de Paris à Brive-la-Gaillarde (contre 4 heures aujourd'hui). Cette ligne constitue une branche de la LGV Sud Europe Atlantique.
Conformément aux dispositions de l'article L.121-12 du code de l'environnement, le délai de 5 ans suivant la publication du bilan de la Commission nationale établit à la suite du débat public qui s'est tenu du 1er septembre au 18 décembre 2006 s'étant écoulé, ce projet fait l'objet d'une seconde saisine.

Maître d'ouvrage : RFF
Coût : 1,5 et 1,6 milliards M €
Site internet du projet du maître d'ouvragehttp://www.lgvpoitierslimoges.com/
Site internet du débat publichttp://cpdp.debatpublic.fr/cpdp-lgv-poitiers-limoges
Première date de saisine : 18/10/2005
Deuxième date de saisine : 27/07/2012
Décision sur l'organisation d'un débat :
07/12/2005 - 

Un problème juridique majeur soulevé par la mairie de Peyrilhac

Délibération de la commune du 28 mars 2012

1/ Observations sur la légalité de l'enquête publique envisagée pour le projet de LGV Limoges-Poitiers

Le projet de LGV Poitiers-Limoges ne semble plus pouvoir être mis à l'enquête publique sans que de nouvelles circonstances de nature à justifier le projet soient alléguées. Le conseil municipal n’en connaît pas en l’espèce.

L’enquête publique est en principe impossible lorsqu’un délai de cinq ans a été dépassé, à partir du moment où avait été publié le bilan du débat public mené sous l’égide de la Commission Nationale du Débat Public. En l’espèce, cette publication a eu lieu en janvier 2007. Pour faire déclarer d’utilité publique ce projet, il fallait donc ouvrir l’enquête publique au plus tard en janvier 2012.

 

Le texte qui régit cette question est l’article L.121-12 du code de l’environnement, texte de loi qui pose le principe d’illégalité d’une enquête publique tardive. Bien entendu, comme chaque fois qu’un texte pose un principe, des exceptions sont prévues. Ici, la CNDP peut, dans certains cas exceptionnels, être à nouveau saisie. Cela mérite analyse.

 

A tout le moins, on constate qu’un nouveau débat public devrait donc avoir lieu pour rendre légale une future enquête publique. Cela impliquerait une nouvelle saisine de la CNDP, puis une longue organisation de ce débat, puis quatre mois de réunions de concertation et d’information. Nous laissons à votre appréciation l'aspect politique d'une telle annonce, alors que certains élus politiques et consulaires, favorables au projet, ont annoncé leur certitude quant à la réalisation rapide des travaux.

 

Pour s'en tenir à l'aspect juridique de la question, un nouveau débat public, conditionnant la poursuite du projet, n’est possible, par exception, que si « les circonstances de fait ou de droit justifiant le projet ont subi des modifications substantielles », précise le même texte. Le Conseil d’Etat, dans une décision du 24 mai 2006, a confirmé le rejet d’une saisine nouvelle de la CNDP à l’égard d’un projet autoroutier1. Ce projet ne s'est pas réalisé par la suite.

 

En tout cas, les demandeurs d'une réouverture du débat public doivent démontrer des circonstances nouvelles justifiant le projet. Or dans le cas du projet de LGV Poitiers-Limoges, depuis plus de cinq ans, il existe certes des circonstances nouvelles, mais des circonstances qui, selon le conseil municipal, devraient justifier l’abandon du projet et non son maintien. Ces circonstances nouvelles sont d’une part le projet de LGV POCL et d’autre part l’aménagement du TER Limoges-Poitiers (notamment).

 

Le projet POCL, qui avance à grands pas et vient d’avoir son propre débat2 devrait amener une LGV de Lyon, en passant au nord de Clermont et pourrait arriver vers Bourges ou Vierzon (scenario Ouest-sud) avant de filer sur Paris et sur l’aéroport Charles De Gaulle. Un raccordement entre la ligne classique Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (POLT) pourrait être prévu non loin de Vierzon ou Châteauroux avec cette ligne nouvelle, ou au pire à partir d’Orléans. Les voyageurs venant du sud, notamment de Brive ou Limoges, bénéficieraient alors de la grande vitesse à partir du raccordement avec cette ligne nouvelle. En entretenant la ligne POLT ("qui se clochardise" dit à juste titre le député-maire de Limoges) et en l’améliorant, Limoges serait à environ deux heures et quart de Paris, temps sensiblement équivalent à celui permis par une LGV Poitiers-Limoges, sans les dégâts humains, environnementaux, agricoles et financiers inévitables en cas de percement d’une ligne nouvelle. Le projet POCL, que l’on y soit favorable ou non, est bien une circonstance nouvelle (par rapport aux circonstances de 2006, dans le débat sur le projet de LGV Poitiers-Limoges) mais pas une circonstance justifiant le projet de LGV Poitiers-Limoges, tout au contraire.

 

Une autre circonstance nouvelle pourrait être trouvée dans l’amélioration de la ligne TER Poitiers-Limoges, amélioration en cours, ce qui est tout à l’honneur des deux régions traversées. Les étudiants et autres voyageurs venant de Limoges et se rendant à l’Université de Poitiers ou au Futuroscope, vont bénéficier d’une liaison directe par le train express régional, évitant le crochet par Poitiers. Alors même qu'une LGV leur serait fournie entre les deux capitales régionales, ils n’auraient aucun intérêt à faire un détour par la gare TGV de Poitiers pour revenir ensuite sur les campus poitevins, outre que le prix des TGV n’est pas celui des billets TER, même avec réduction. Cette circonstance nouvelle qu’est l’amélioration de la ligne TER, loin de justifier la LGV Poitiers-Limoges, en affaiblit l’intérêt. Donc ce n’est pas un motif de réouverture du débat public sur ce projet dont l’enquête publique a trop tardé.

 

Cette argumentation nous semble d’autant plus incontournable qu’il existe un principe juridique d’interprétation stricte des exceptions3.

 

Tant que dure l’incertitude sur le projet de LGV Poitiers-Limoges, les riverains de la ligne TGV projetée perdent toute chance de vendre leurs biens au prix normal du marché ; des personnes âgées menacées d’expropriation sont au bord de la dépression ; des agriculteurs voient leurs exploitations coupées en deux, les ramenant en dessous d’une taille jugée critique. Des habitants de notre commune, mutés professionnellement, ont dû vendre leurs biens à prix cassé. Il est temps de mettre fin aux incertitudes et la loi y invite clairement.

 

Vous avez, monsieur le préfet, présidé la réunion du comité des financeurs (COFI), le 19 mars dernier. Les collectivités partenaires au financement des études (30 millions d’euros), réunies à Limoges, semblent n’avoir pas été informées du problème juridique que nous venons de décrire. RFF n’aurait-il pas dû, décemment, informer le personnel politique favorable au projet de la caducité de celui-ci ou, du moins, du dépassement du délai de cinq ans ? Il est vrai qu’une décision ministérielle du 6 février 2012, arrivée elle aussi hors délai, a confirmé le tracé de cette LGV ; mais elle préconise l’approfondissement de nombreux points particuliers et demande, à juste titre, une étude socio-économique plus convaincante. Pas plus que les grands élus locaux, le ministère ne semble s’être soucié du caractère tardif de l'enquête publique projetée ; mais du moins les décideurs pourraient-ils être clairement informés des aléas d'un tel projet plus qu'incertain et nuisible dès maintenant pour nos territoires.

 

Sur cette première série de remarques, nous nous permettons de vous solliciter, monsieur le préfet, pour vous demander de bien vouloir nous confirmer que la décison du comité des financeurs de continuer le projet suppose une saisine nouvelle de la Commission Nationale du Débat Public. Dans l'affirmative, nous vous demandons de bien vouloir nous préciser ce qui permettrait de rendre légale l'enquête publique malgré son caractère tardif.

1 Conseil d'Etat, 2ème et 7ème sous-sections réunies, du 24 mai 2006, 285213, mentionné aux tables du recueil Lebon. Il s'agissait du projet d'autoroute A 32 entre Toul et Longwy. Ce projet n'a pas été réalisé et, en juillet 2010, le Schéma national des infrastructures des transports (SNIT) a recommandé l'abandon de l'A32 au profit d'un autre aménagement. A noter que le Conseil d'Etat n'exerce qu'un contrôle restreint sur la décision par laquelle la commission nationale du débat public estime qu'il n'y a pas lieu d'organiser un nouveau débat public sur un projet d'autoroute ou de LGV. Quand la CNDP estime que sa saisine nouvellle doit être rejetée, le recours visant à faire valider cette saisine nouvelle par le juge administratif a donc peu de chances de prospérer.

L'arrêt du 24 mai 2006 contient le considérant suivant : "qu'ainsi, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la Commission nationale du débat public aurait inexactement apprécié les pièces du dossier en estimant que les circonstances justifiant le projet n'avaient pas subi de modifications substantielles depuis 1999".

 

2 Voir la publication du bilan de ce débat, en date du 21 mars 2012, sur le site de la CNDP. Les informations sur ce débat public seront maintenues pendant cinq ans.

3 Exceptio est strictissimae interpretationis : cette maxime d’interprétation juridique signifie que toute solution exceptionnelle, par rapport à un principe posé dans un texte, doit être appliquée de façon à ne pas en étendre la portée au-delà de la définition textuelle. Ici l’article L.121-12 du code de l’environnement pose le principe d’illégalité de l’enquête publique plus de cinq ans après la fin du débat public ; puis le texte pose une exception reconnue comme telle par sa formulation (« au-delà de ce délai, la commission ne peut relancer ce débat que si …). Le principe d’interprétation stricte des exception interdit que la condition exceptionnelle posée (« si les circonstances de fait ou de droit justifiant le projet ont subi des modifications substantielles ») soit interprétée extensivement. Il ne paraît donc pas possible de donner au participe présent « justifiant », le sens d’une ouverture où toute circonstance nouvelle permettrait une nouvelle saisine de la CNDP. Seules de nouvelles circonstances de nature à justifier le projet pourraient être alléguées … et nous n’en connaissons pas en l’espèce.